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14 mai 2012 1 14 /05 /mai /2012 10:23

Par Étienne Gless pour LEntreprise.com  

Alcool et drogues sont à l'origine de 20 à 30 % des accidents du travail. Et coûtent aux entreprises en moyenne 1,5 % de la masse salariale annuelle. Prévenir et traiter les addictions doit devenir un impératif pour les employeurs. Voici comment.

 

20 à 30 % des accidents du travail sont liés à des addictions (drogues licites et illicites). 10 à 20 % des accidents du travail sont dus à l'alcool, qui est responsable dans 40 à 45 % des accidents mortels. Source : Inserm, Inpes, MIDLT.

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Un salarié d'une entreprise lyonnaise de logistique entre au volant d'un chariot élévateur dans les bureaux de la direction et tue une secrétaire. A Paris, un journaliste trouve la mort à moto en roulant à contresens sur le périphérique, après avoir quitté un pot de bouclage à trois heures du matin. L'enquête établira qu'il avait 2,5 g d'alcool dans le sang et que les pots de bouclage étaient quotidiens... L'employeur a été condamné au pénal. A l'héliport d'Issy-les-Moulineaux (Hauts de-Seine), un pilote privé sous l'emprise de la drogue "oublie" son client au décollage et percute un camion-citerne avant de s'écraser contre un autre hélicoptère ! Ces drames sont monnaie courante.

L'absentéisme dopé par les addictions

Aujourd'hui, 20 à 30 % des 650 000 accidents du travail recensés chaque année en France trouvent leur origine dans le fait qu'un collaborateur de l'entreprise est sous l'emprise d'une substance psychoactive : alcool, tabac, drogues illicites ou médicaments psychotropes. L'alcool est responsable à lui seul de 10 à 20 % des accidents du travail. Pis, il est impliqué dans 40 à 45 % des accidents mortels ! "Mais un Français sur cinq consomme des benzodiazépines", rappelle Philippe Perez, qui vient de monter Aden, un cabinet de conseil spécialisé dans les addictions en entreprise. Dans une étude publiée début janvier, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) a détaillé par secteur d'activité quelles étaient les substances les plus consommées. La consommation quotidienne d'alcool est chose très fréquente dans l'agriculture ou dans la construction.

1,5 % de la masse salariale annuelle, c'est ce que représente le coût de l'alcoolisme au travail en moyenne pour les entreprises françaises.

10 000 à 13 000 journées de travail sont perdues chaque jour en France pour absentéisme dû à l'alcool.

7,7 % des actifs consomment quotidiennement de l'alcool.

550 000 personnes en France ne peuvent commencer une journée sans avoir fumé un joint de cannabis.

6,9 % des actifs consomment du cannabis en cours d'année.

Les professions artistiques ou à forte exigence de performance (architectes) usent plus volontiers de la cocaïne ou des amphétamines. "Moi, c'est l'alcool gratuit qui m'a coûté le plus cher", confie Benoît Schmider, ancien publicitaire de haut vol, dans Open Bar (Steinkis), un livre racontant sa descente aux enfers. Le travail, s'il est synonyme de stress et de pression, pousserait-il à la consommation de substances ? D'après l'Inpes, 6 % des fumeurs réguliers, 9,5 % des buveurs d'alcool et 13 % des consommateurs de cannabis invoquent les problèmes liés au travail pour justifier la hausse de leur consommation. Un prétexte ? "L'exercice d'une activité professionnelle reste globalement un facteur de protection contre les conduites addictives", rappelle cependant l'Inpes, qui note que celles-ci sont plus importantes chez les chômeurs que chez les personnes en poste.

Le salarié qui prend des substances le paie cher, mais l'employeur aussi : retards répétés, arrêts de travail en rafale, qualité des tâches et des relations de travail dégradée... La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies (MIDLT) a calculé que l'absentéisme du salarié "accro" est multiplié par deux à cinq, en fréquence comme en durée. Les arrêts de travail de plus de trois semaines sont multipliés par quinze ! L'entreprise enregistre aussi une hausse des incidents de production, d'où une baisse de la productivité avec désorganisation du travail, augmentation de la charge pour les autres salariés...

Pas étonnant que les addictions - alcool en tête - soient devenues dans les entreprises le troisième sujet de préoccupation, juste après les risques professionnels et les accidents du travail, loin devant le stress ou les fameux troubles musculo-squelettiques (TMS) ! Logique : l'employeur est tenu d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L. 4121-1 du Code du travail). En cas de manquement, il peut être poursuivi pour faute inexcusable.

Priorité à la prévention

Par ailleurs, l'employeur est responsable des dommages que ses salariés peuvent causer à des tiers (article 1384 du Code civil). Les juges insistent aussi sur sa responsabilité en matière de prévention. Sa responsabilité civile, voire pénale, peut être engagée en cas d'accident d'un salarié sous l'emprise de drogues, ou en cas d'usage (ou de trafic) au sein de l'entreprise !

La consommation d'alcool, de médicaments et de drogues fait courir des risques aux salariés. Elle doit donc être évaluée et intégrée à la politique de prévention de l'entreprise. Le salarié lui-même est responsable de sa santé et de sa sécurité, mais aussi de celle de ses collègues. La Cour de cassation a ainsi justifié des licenciements au motif d'alcoolémie... comme elle a condamné des collègues de salariés ivres. Motif : non-assistance à personne en danger !

Les bons réflexes

Oser aborder le sujet plutôt que réprimer ou traiter après coup.

Impliquer les acteurs concernés dans l'entreprise : direction, DRH, assistante sociale, médecin du travail, infirmière...

Faire intervenir un groupe de prévention pluridisciplinaire formé.

Pointer les dysfonctionnements (absences, accidents, baisses de performance) plutôt que faire un diagnostic médical sauvage...

Pour un responsable de ressources humaines, il y a deux façons de considérer le problème. Prévention ou répression. La répression est la voie la plus facile : on fait des contrôles inopinés auprès des salariés soupçonnés de dépendance sur les postes à risque, on les sanctionne voire on les licencie pour faute. L'employeur peut en effet, par la voie du règlement intérieur, limiter voire interdire l'introduction et la consommation de boissons alcoolisées et de substances illicites si cette mesure est justifiée par des motifs de sécurité au travail. Bien sûr, on ne peut pas licencier pour raison de santé. "On ne licenciera pas pour alcoolisme mais pour "dysfonctionnement" au poste de travail", rappelle Patrick Buchard, dirigeant du cabinet d'alcoologie d'entreprise Hassé Consultants. A défaut de prévention, les entreprises les plus répressives attendent que le salarié ait commis une faute portant atteinte à l'image de l'entreprise ou lui causant un préjudice commercial pour l'exclure.

Pourtant la prévention (information, formation, responsabilisation) est encore la meilleure solution pour empêcher des collaborateurs de sombrer. De très grandes entreprises (Hermès, Bouygues, Veolia) ont fait ce choix. "Pour réussir une démarche de prévention, vous devez impliquer tous les acteurs concernés dans l'entreprise : la direction, la DRH, l'assistante sociale, le médecin du travail, l'infirmière", préconise Ariane Boon, alcoologue et consultante. Elle rappelle que, dans les situations d'urgence, le premier réflexe, si l'on constate qu'un salarié est sous l'emprise de l'alcool ou d'une drogue, est de ne pas le laisser accéder à son poste de travail. Et il faut non pas le renvoyer chez lui mais le faire raccompagner.

A noter que les dépistages doivent être prévus dans le règlement intérieur ou par une note de service affichée sur le lieu de travail et que l'alcootest a pour seul but de prévenir ou de faire cesser une situation dangereuse. Sur la base d'un alcootest positif, l'employeur peut toutefois prononcer une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave. Pour les autres drogues (cannabis, ecstasy, cocaïne... ), le dépistage ne devra s'effectuer que pour les postes à risque : travail en hauteur, conduite de véhicules, manipulation de produits dangereux...

Aider le collaborateur

Reste le fond du problème : licencier ou aider la personne malade ? Un bon réflexe est d'appeler le médecin du travail pour engager une action médicale. Lui seul peut d'ailleurs se prononcer sur l'aptitude du salarié à occuper son poste.

"10 % de l'action de notre groupe de réflexion alcool est consacré à la prise en charge de salariés en difficulté", confie Sylvie Lloret, DRH de GTM Bâtiment. Comme cette entreprise, certaines sociétés soucieuses du devenir de leurs collaborateurs, les orientent vers un cabinet d'alcoologie entreprise, qui les encourage à engager une démarche d'abstinence tout en continuant à travailler. "Deux prises en charge sur trois ont porté leurs fruits en 2009 !" se réjouit Sylvie Lloret. Le recours à une aide extérieure peut coûter moins cher à l'entreprise qu'un licenciement. Et voir un collaborateur se rétablir et redevenir performant est finalement un plaisir qui n'a pas de prix !

 

Sylvie Lloret, DRH de GTM Bâtiment: "Nous sensibilisons tout le personnel au risque lié à l'alcool"

"Dans le bâtiment, l'alcool était culturel : on buvait la petite goutte à 7 h 30 du matin avec le chef de chantier avant d'attaquer le travail. Notre politique a été de miser sur la prévention", confie Sylvie Lloret, DRH de GTM Bâtiment, filiale du groupe Vinci Construction (388 millions d'euros de chiffre d'affaires, 750 salariés). L'entreprise a mis en place en mars 2009 un groupe de réflexion alcool (Gral) comprenant une vingtaine de personnes. Le président de l'entreprise lui-même en est membre avec des représentants du personnel (CE, CHSCT...), des salariés (ouvriers, conducteurs de travaux), le personnel médicosocial (assistante sociale, médecin du travail...). Chaque membre a été formé durant cinq jours à l'alcoologie et à l'addictologie. Le groupe a bâti son identité visuelle, s'est donné un nom : Carat pour "Collectif alcool responsable au travail". Parmi ses actions, il a animé un stand lors du rituel des voeux. Grâce à des lunettes, chacun pouvait se rendre compte de la vision réduite qu'a la personne qui a bu. Un logiciel permettait de calculer l'heure à laquelle on pouvait reprendre le volant... Le groupe a aussi rédigé des notes pour les chefs de service définissant la manière d'organiser les pots : bannir les alcools forts, proposer un large choix de jus de fruits et de sodas, préciser les heures de début et de fin de la rencontre, créer des événements de convivialité différents... Tous les managers ont suivi au moins une journée de formation et 348 employés techniciens et agents de maîtrise ainsi que 111 compagnons ont été sensibilisés lors une séance d'information de deux heures. "Nous constatons un changement impressionnant des moeurs en trois ans, au siège comme sur les chantiers. Il n'y a plus la même relation à l'alcool, se réjouit Sylvie Lloret. Le traiteur est venu nous voir après les voeux, surpris qu'il reste autant de bouteilles pleines !"

"Le maintien à son poste de travail est salvateur pour le salarié malade !" - Patrick Buchard, alcoologue, fondateur d'Hassé Consultants

"J'ai créé Hassé Consultants, cabinet d'alcoologie d'entreprise, en 1989. Nous intervenons pour accompagner les salariés dépendants à l'alcool et aux autres produits modifiant le comportement. Nous en avons réinséré 1 850 à leur poste souvent en procédant à des sevrages en ambulatoire. Notre taux de réussite est de 80 % quand il y a maintien au poste de travail : cette condition est un levier crucial pour la réussite. Quand les personnes n'ont plus de travail, le taux de réussite tombe à 10 %, voire moins. On m'appelle souvent trop tard. C'est pourquoi je crée aussi des campagnes de sensibilisation sur le risque alcool ou drogues illicites, au même titre que sur d'autres thèmes de sécurité au travail. Réduire le risque alcool et drogues en entreprise sans mettre en place de dispositif préventif, ça ne marche pas."

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commentaires

W
Dans une mesure de prévention, il est conseillé d'afficher le panneau relatif à la consommation d'alcool et de produits stupéfiants en entreprise par l'employeur.
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